Entretien avec Konrad Schreiber, ingénieur agronome, co-fondateur de la société de conseil La vache heureuse et sa filiale, La belle vigne, et chef de projet à l’Institut de l’agriculture durable.
Dans un monde en proie aux défis climatiques, l’agriculture cherche de nouvelles voies pour préserver l’environnement tout en assurant sa propre pérennité. C’est dans ce contexte que l’agroforesterie émerge en tant que solution novatrice, combinant culture et arbres au sein des domaines agricoles. Mais, pour Konrad Schreiber, ingénieur agronome, il ne s’agit là que de revenir à des pratiques existantes avant la Seconde Guerre Mondiale. La destruction des arbres sur les zones agricoles explique-t’il, est due à une politique agricole productiviste qui correspondait, à l’époque, au besoin de fournir une alimentation en quantité et en qualité, peu chère et accessible au plus grand nombre. Cela a conduit à la diminution des prairies, qui étaient remplacées par des cultures de céréales subventionnées par la PAC de 92. Cette transition a entraîné une intensification du travail du sol, une perte de protection du sol, de la biodiversité, du climat et de l’évapotranspiration et du climat. La couverture du sol par les prairies tout au long de l’année, avec la présence de haies et d’arbres, a été remplacée par une couverture de six mois par an avec les cultures de céréales et des sols nus et déchaumés. Cela a conduit à une diminution de l’évapotranspiration, ce qui a un impact sur les précipitations. Pas de plantes, pas d’eau !
Le rôle essentiel des arbres dans la captation du carbone
Konrad Schreiber revient sur les cycles de vie complexes qui sous-tendent cette approche et les bénéfices qu’elle pourrait apporter aux agriculteurs. Il l’affirme : « Les arbres sont les gardiens du carbone et les régulateurs du climat ». Leur rôle essentiel dans la captation du carbone, la régulation des températures et la préservation de la biodiversité est indéniable. Associé au semis direct, l’agroforesterie vise à reproduire ces mécanismes naturels de la forêt dans les espaces cultivés en intégrant harmonieusement des arbres sur les parcelles.
L’ingénieur agronome souligne que la destruction des arbres sur les terres agricoles a contribué aux problèmes climatiques actuels. Selon lui, « la spécialisation et l’intensification agricole liés aux politiques publiques ont conduit à une perte de résilience des systèmes agricoles ». L’agroforesterie offre une solution tangible pour restaurer cette résilience, préserver la fertilité des sols et réguler le climat.
Au-delà des bénéfices environnementaux, l’agroforesterie offre des perspectives économiques prometteuses pour les agriculteurs, insiste Konrad Schreiber. Pour lui, les arbres peuvent être valorisés de multiples façons. « Le bois possède une valeur économique substantielle », affirme-t-il. Il peut être utilisé comme combustible, dans la construction, la fabrication de meubles, comme isolant, comme matériau biosourcé et même dans l’industrie du contreplaqué. En intégrant des arbres à rotation rapide et en choisissant judicieusement les essences, les agriculteurs peuvent valoriser ces ressources tout en respectant les cycles de vie des arbres.
Il avance que des mécanismes de paiement pour “services écologiques” pourraient être mis en place afin de rémunérer les agriculteurs qui intègrent des arbres dans leurs fermes. « La captation de carbone, la régulation climatique, la préservation de la biodiversité et la protection des ressources en eau sont autant de services rendus par l’agroforesterie », précise Konrad Schreiber. Il est donc essentiel de reconnaître la valeur de ces services et de les rétribuer équitablement.
Les recommandations et perspectives pour les agriculteurs
L’ingénieur agronome encourage les agriculteurs à embrasser progressivement l’agroforesterie, en commençant par des plantations d’arbres qui n’entravent pas leurs activités agricoles. Les haies bocagères sont un excellent point de départ, offrant des avantages en termes de protection contre les vents, d’ombre pour le bétail et de biodiversité. Ensuite, les agriculteurs peuvent envisager d’intégrer des arbres dans leurs parcelles, en fonction de leurs préférences et des avantages recherchés.
Pour créer une véritable transition vers l’agroforesterie, il est essentiel de repenser la valorisation de l’environnement et de développer des mécanismes de rémunération justes pour les services écologiques rendus. La société civile a également un rôle à jouer en soutenant une agriculture durable et en acceptant de payer pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité. Car en intégrant des arbres dans leurs systèmes de cultures en semis direct, les agriculteurs vont contribuer à la captation de carbone, à la régulation du climat, à la préservation des sols et à la production de biodiversité. Cette approche offre également des perspectives économiques intéressantes, en valorisant les produits dérivés des arbres et en mettant en place des mécanismes de rémunération pour les services écologiques rendus. L’agroforesterie représente ainsi une voie d’avenir pour une agriculture durable et résiliente.
Ainsi, comme le souligne Konrad Schreiber, « en replantant des arbres sur nos terres agricoles, nous pouvons changer la donne et contribuer à la construction d’un avenir plus vert et plus prometteur. Il est possible de faire apparaître 2 millions d’ha d’arbre sur 30 millions d’ha SAU en France sans jamais nuire à la production alimentaire ».
Le 29 juin, La Vache heureuse organise la 5e édition de son grand colloque appelé “Le Carrefour des éleveurs », dans l’Orne, à La Chapelle d’Andaine. Son thème cette année : Les vaches, les plantes et le climat. Renseignements et inscriptions :