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Philippe DESSERTINE

Brillant économiste, conseiller de l’ombre auprès de différents gouvernements et institutions Européennes, Philippe DESSERTINE est aussi Président de l’association « Comité 21 ». Il décrypte avec clairvoyance, perspicacité et finesse les grands enjeux économiques, géopolitiques, sociétaux et environnementaux de notre monde.

Il était le grand témoin, invité d’honneur au 30eme anniversaire de l’IRQUALIM pour une conférence prospective sur les enjeux agricoles et agroalimentaires des prochaines années.

Pour Philippe DESSERTINE, la connaissance du passé aide à se projeter dans le futur. Mais pour la première fois dans l’histoire, dans un phénomène d’accélération, c’est le très court terme passé qui nous éclaire. « Il y a trois ans, on n’aurait pas parlé pareil ! »

Le très court terme passé, s’est déjà le confinement : un réveil brutal et anxieux de la population mondiale et singulièrement de la population française : « les agriculteurs sont-ils confinés ? Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? »
Alors que l’agriculture ne représente plus que 5 % du PIB mondial, cette situation nouvelle a changé radicalement le regard sur l’agriculture. Ce besoin vital de l’alimentation, oublié progressivement, a provoqué un réveil soudain : « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? »

Le deuxième événement, en 2021, c’est le réveil de l’économie mondiale et pour la première fois depuis longtemps, une pénurie sur les matières premières (y compris en agroalimentaire), accompagnée d’une fluctuation des cours considérable et d’une inquiétude qui se répand : « il pourrait y avoir une énorme montée des prix de l’agriculture ! »  Peu à peu, Les prix s’envolent et tout le monde n’a plus accès à la qualité alimentaire de la même façon. C’est le deuxième rappel à l’ordre qui modifie le regard sur l’agriculture et l’alimentation de façon forte.

Le troisième évènement, c’est la tragédie européenne ; la guerre qui revient sur notre territoire et dans deux pays dont les exportations sont fondamentales dans l’équilibre alimentaire mondial. Revient alors cette question cruciale : « est-ce qu’on a assez pour nourrir la population mondiale ? » La réponse est négative ; le spectre de la famine refait son apparition et avec lui la certitude que « le problème d’un humain à l’autre bout du monde peut devenir mon problème ! »

Et enfin le dernier élément qui fait son apparition, c’est un dérèglement monétaire, financier, économique qui s’installe : l’inflation. Ce n’est plus une augmentation des prix liée aux pénuries, c’est dramatiquement l’argent qui se dévalue. L’INSEE le communique officiellement, la France enregistre une inflation de 6 %.

Cette situation nouvelle bouleverse tous nos repères y compris ceux de l’agriculture et de l’alimentaire. « Pour beaucoup, il va falloir choisir entre la viande et le chauffage. Le pouvoir d’achat, c’est explosif ! Tous les secteurs économiques sont paumés, l’agriculture y compris ».

Mais alors est ce qu’il y a encore un avenir dans la qualité ?
Pour Philippe DESSERTINE la réponse est oui. « Non seulement oui mais plus que jamais !

Nulle part dans le monde la question de la qualité alimentaire n’est remise en question. Et certainement pas en Asie qui est devenue la première puissance mondiale après 600 ans de domination occidentale. Tous les pays en développement s’ils peuvent, s’ils veulent devenir riches le font pour bien manger ».

C’est dans ce contexte que nombre de pays dans le monde mobilisent leur agriculture pour répondre à ce défi. C’est également dans ce contexte que « la France dispose d’une réputation fantastique de qualité de son agriculture et de ses terroirs.

Incontestablement la France est reconnue comme l’endroit où l’on produit bien, où l’on mange bien ». Cet avantage acquis doit être préservé (il peut se perdre cf automobile) et valorisé.

La question majeure est donc celle-ci : « Alors que nous sommes en pleine inflation, comment et qui va payer la qualité ? »

  • Probablement pas les consommateurs, trop sensibles à l’inflation et dont certains d’entre eux connaissent d’ores et déjà des difficultés à se nourrir correctement.
  • Certainement pas les producteurs qui doivent vivre de leur activité dans un schéma rationnel du point de vue économique.
  • Ni l’Etat ni les Collectivités qui n’en ont plus les moyens.

« Alors que reste-t-il ? Eh bien la cause structurelle de l’inflation ; la raison pour laquelle l’inflation n’est pas temporaire ».
Représentons les choses simplement :

« L’inflation, c’est la monnaie qui se dévalue ; il y a trop de monnaie par rapport à la réalité de la richesse :

  • En 2008, crise financière la plus grave depuis 1929, le PIB mondial est de 80K milliards de dollars et la dette grimpe à 140K milliards. Il y a 60K milliards de dollars qui ne savent pas où aller ; ils alimentent la bulle immobilière.
  • Fin 2019, l’écart s’est creusé, le PIB mondial s’établi à 92K milliards de dollars quand la dette mondiale atteint 250K milliards. La banque mondiale sonne l’alerte : attention, on va droit vers l’inflation !
  • Janvier 2020, un petit pangolin fait s’arrêter l’économie mondiale, il faut réduire la masse monétaire, quoi qu’il en coûte on l’augmente ! En trois ans, 50K milliards supplémentaires porte la dette mondiale à 300K milliards de dollars alors que le PIB peine à se maintenir à 92K milliards.
    Un déficit de 208K milliards de dollars cherche de la valeur ».

Un regard sur l’histoire nous rappelle que dans pareille situation, lorsque la dette est aussi effrayante, cela conduit :
« 1 à de la bulle, 2 à de l’inflation, 3 à une crise, 4 à une guerre
SAUF, si vous commencez à créer une valeur nouvelle ; celle qui est exigée par le dérèglement climatique et du fait que nous devons changer notre mode de fonctionnement ».
Pour Philippe DESSERTINE, « tout ce que nous allons démontrer comme changement dans notre mode de fonctionnement, c’est ça, la nouvelle valeur qui est en train d’apparaitre ».

Une agriculture productive qui par ses pratiques vertueuses au regard du dérèglement climatique et qui de fait représente une balance positive du point de vue du développement durable, crée une valeur nouvelle.

Mais ce qui distingue cette situation par rapport à nos repères habituels, se situe dans le fait que cette valeur nouvelle ne peut pas aujourd’hui être introduite dans le prix payé par le consommateur.
Par contre, la monnaie disponible est prête à s’intéresser à cette agriculture qui répond aux enjeux mondiaux depuis que la production agricole mondiale, l’alimentation sont inscrites au centre des préoccupations.

Néanmoins, pour crédibiliser, objectiver l’action, il va falloir trouver les éléments qui attesteront du caractère vertueux des pratiques.

Il s’agit de ce que l’on tend à appeler désormais l’information extra financière qui devient indispensable pour obtenir du financement.
« Peu à peu on va commencer à rémunérer la façon dont on produit ; le service que va représenter l’agriculture en plus du produit ; la notion de qualité qui était quelques fois un peu abstraite va attirer l’argent du financier mondial. Les grands pays agricoles ont compris ce qui est en train de se passer et ce serait quand même incroyable que la France avec sa réputation de qualité ne soit pas au rendez-vous. Mais pour cela vous allez devoir travailler sur la représentation de ce que vous faites : mesurer l’impact de vos pratiques et de leurs évolutions, de façon scientifique et objective. La démonstration, la preuve donne la valeur économique. La DATA (tout ce qui n’est pas monétaire) va devenir fondamentale. Les produits sous signe de qualité ont déjà cette logique, notamment à travers leurs cahiers des charges. Vous devez absolument considérez que c’est là que se fait la valeur. Par conséquent cette data il faut la regrouper, l’aborder dans une réflexion collective. Nous n’avons jamais été aussi proche de votre logique qui consiste à garantir ce que l’on prétend être ».

Le changement qui s’opère dans un monde ébranlé, conduit à inscrire désormais la qualité au bilan des exploitations. L’agriculture de qualité devient un enjeu qui va attirer les financements et l’inflation concours à créer un environnement favorable à l’investissement créateur d’éléments d’actifs que nous appellerons la « valeur incorporelle ».

Philippe DESSERTINE l’explique et ouvre des perspectives : cette valeur incorporelle doit se démontrer, de façon objective, crédible et non standardisée. « On ne peut pas mesurer la qualité partout dans le monde avec le même indice ». Alors que la compétition mondiale se renforce, le caractère vertueux de l’agriculture se mesurera dans les terroirs. Terroir par terroir, aussi finement que possible, cette agriculture doit démontrer sa qualité, sa durabilité.
« C’est compliqué, ça coute ? Il y a 208K milliards qui cherchent à s’investir !

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